Condamnation de James O’Connor et d’Ali Williams, parfaite illustration de la dérive financière du rugby professionnel

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En février 2017, deux joueurs de rugby sont arrêtés à près d’une discothèque des Champs-Élysées avec de la cocaïne dans la poche. Il s’agit de l’ancienne gloire des All Blacks, Ali Williams, et de James O’Connor, un Autralien. Le Néo-Zélandais jouait pour le Racing Metro et O’Connor, pour Toulon. Williams a été condamné à 1 500 € d’amende par la Ligue. Il a été licencié par le Racing. Quant à O’Connor, il a été suspendu par Toulon et a été condamné à 1 500 euros d’amende par la justice.

Les condamnations font rire du côté du peuple. Cette nouvelle élite sportive, planant au-dessus des lois, fait honte aux amoureux du rugby éternel. Les traditionnelles valeurs qui séparaient le monde du ballon ovale à celui du ballon rond ont totalement sauté. La raison est simple : le rugby a embrassé le monde de l’argent à pleine main pour pouvoir rivaliser avec ses voisins. Il est entré de plein pied dans le monde des paris sportifs. Des clubs se sont fait beaucoup d’argent grâce à des sponsors tels que PMU.fr et certains joueurs ont même été suspendu après avoir parié sur le Top 14 et profiter des différents bonus PMU. Si la financiarisation semble être un succès sportif, en coulisse c’est un désastre. C’est bien simple : le rugby, à l’image de la mondialisation, c’est le retour au XIXème siècle version Émile Zola. Illustration.

Immigration de travail et salaires à la baisse : dans l’enfer du rugby professionnel

En Top 14, il y a 40 % de joueurs étrangers, soit un total d’environ 200 joueurs. Dans certaines équipes, plus de la moitié de l’effectif est étranger. C’est une situation que l’on trouve au football, en Ligue 1. Toutefois, dès que l’on descend en Ligue 2, la proportion d’étrangers baisse dramatiquement. Au rugby, le taux reste stable entre le Top 14, la Pro D2 et la Fédérale 1.

Parmi cette cohorte d’étrangers, on retrouve des stars internationales, mais on aussi des légions de Sud-Africains très moyens qui n’ont pas réussi à percer chez eux, des Fidjiens totalement déboussolés ou des Néo-Zélandais qui se croient en terrain conquis. En conséquence, la place pour les joueurs français diminue avec le risque que la sélection en pâtisse. Tout ceci rappelle la sélection de foot anglaise. La Premier League est l’un des meilleurs championnats au monde, mais les Three Lions sont d’une indigence totale.

Un Fidjien coûtera toujours moins cher à faire jouer qu’un Français. À l’achat, il aura déjà été formé et son salaire sera bien plus bas. À part les stars que l’on paye rubis sur l’ongle (malgré le système de salary cap), le mécanisme de dumping social entraîne une baisse du salaire moyen. Comme au XIXème siècle, on se retrouve avec les stars ultra-riches et les prolos du rugby, étrangers, qui gagnent une misère. La classe moyenne, symbolisés par les joueurs de clubs robustes mais peu étincelants, est en train de disparaître. Dans ce marasme, les Français sont bien souvent du mauvais côté du manche. Résultat : une certaine forme de désamour commence à se faire sentir entre le public et le rugby. En conséquence, l’affluence est en baisse.

Capitalisme financier des clubs de rugby et abandon de la sélection nationale

La mondialisation financière nous a appris une chose : l’argent est roi et le pays est une donnée secondaire, presque une épine dans le pied du libéralisme. Au rugby c’est la même chose. Les joueurs sont la propriété des clubs. Entre le championnat et les différentes coupes, le calendrier est démentiel. Si l’on rajoute à cela l’impact physique du rugby professionnel sur le corps humain, les tragédies ne sont jamais loin. Voici un bon exemple : Pierre Tarrance, ancien joueur de Vannes, devenu tétraplégique après un plaquage du Limougeaud Alowesi Nailiko. On pourrait aussi citer Johnathan Sexton, recordman du monde de commotions cérébrales, peu à peu poussé vers la sortie.

Emmenés au-delà de leurs limites physiques, les joueurs arrivent en équipe de France avec une condition physique déplorable. Résultat : pas le temps pour mettre un projet de jeu en place et résultats en berne. À la tête de la Ligue, Bernard Laporte tente d’apporter une solution : mettre les joueurs sélectionnés sous contrat fédéral. En les enlevant des griffes des clubs, on aurait des joueurs plus frais et plus lucides au moment des échéances internationales. Ce système est en vigueur outre-Manche et il fonctionne très bien. Mais au pays de Germinal, les financiers sont vent debout contre cette solution.

Ceux qui ont joué au rugby en pro dans les années 90, période Lièvrement, Merle ou Bernat-Salles sont formels : les joueurs d’aujourd’hui sont bien plus massifs. La culture de la musculation arrive très tôt, tout comme les risques de dopage. En ce sens, le rugby subit les mêmes écueils que le football américain. Les joueurs encaissent, prennent des coups, et n’hésitent plus à mettre leur santé en gravement danger pour gagner beaucoup d’argent. On ne parle pas d’une fracture de la jambe, mais d’un risque de paralysie partielle ou totale, voire même de mort subite.

Postmodernisation du rugby : bienvenue dans le monde de la communication

Comme au football, les enjeux financiers ont totalement coupé les joueurs des réalités de la vie quotidienne et ont verrouillé la communication. Fini le côté champêtre, la troisième mi-temps avec les adversaires. Maintenant, l’heure est aux conférences de presses stériles et aux conseillers en tout genre. Le réel a fuit le rugby pour faire place à la représentation. Dans cette optique, les joueurs ne sont plus que des machines. On programme la perte de leur personnalité, avec des conséquences parfois dramatiques.

Tout le monde se rappelle la communication hasardeuse autour de Matthieu Bastareaud lors de la tournée néo-zélandaise en 2009. Il a prétendu avoir été agressé avant de se rétracter et de finalement dire qu’il était tombé sous la douche. Au final, la vidéo surveillance a montré qu’il était parti en soirée et rentré à l’hôtel avec deux jeunes filles. Les atermoiements de l’encadrement ont été pitoyables et le joueur, lui, est parti en dépression par la suite.

En conclusion, le rugby épouse le monde mortifère de la mondialisation. Les joueurs sont vidés de leur substance, de leur particularisme. Ils sont transformés en machines à prendre des coups servant les intérêts supérieurs des clubs. La sélection nationale n’a plus qu’une valeur affective lointaine. Financièrement, elle ne rapporte rien. Le rugby compte sur un prolétariat immigré et sur quelques superstars, ce qui entraîne le déclassement progressif des rugbymen français. Ceci n’est pas une fiction. Tout rapprochement avec le monde réel est, dans ces temps d’élection présidentielle, purement fortuit.